Filtrage du net et émeutes : quel impact?

Des sociologues s’attaquent à le proposition de David Cameron de filtrer les réseaux sociaux et les services de messageries pour empêcher les émeutes. Leur modèle montre que la censure n’est peut-être pas la bonne solution.

David Cameron veut filtrer les réseaux sociaux.  Voilà qui suscite le débat : est-ce faisable techniquement? Est-ce qu’un éventuel filtrage sera immédiatement contourné? Est-ce bien digne d’une société démocratique?

Mais une question persiste : est-ce que cela servirait à quelque chose? Difficile de se prononcer sans données précises, puisqu’on ne sait même pas, à l’heure actuelle, comment exactement les émeutiers britanniques se sont servi de Facebook, Twitter et BBM : Combien de messages échangés? Par quels utilisateurs? A quel moment dans la chronologie des incidents? Avec quel impact? Voilà qui demanderait une analyse précise et rigoureuse, pour passer outre le vent de panique morale et de déterminisme technologique béat qui semble imprégner les déclarations politiques et médiatiques récentes.

Ce genre de questions éveille évidemment l’intérêt des sociologues spécialisés dans les réseaux sociaux : Antonio Casilli et Paola Tubaro se livrent ainsi sur leur blog à un intéressant exercice de simulation sociale (en anglais).
De quoi s’agit-il? En l’absence de données empiriques réelles sur la situation, cette méthodologie propose de simuler par ordinateur plusieurs scénarios possibles dans le déroulement d’un processus social – ici, les émeutes et les troubles sociaux – afin de déterminer quelles sont les variables qui l’influencent. Avec la questions sous-jacente suivante : que changeraient le filtrage et la surveillance des réseaux sociaux?
Les deux sociologues proposent de modéliser la situation de la manière suivante : imaginons, qu’à l’échelle d’une ville, le comportement de chaque individu (ou « agent » selon la terminologie en vigueur) dépende d’un certain nombre de facteurs. Il y a avant tout leur degré personnel d’insatisfaction politique qui, passé un certain seul, déclenchera chez les agents un état de protestation active. L’environnement immédiat des agents joue également un rôle, et leur comportement sera différent s’ils détectent la présence voisine de policiers, ou si au contraire ils sont entourés d’autres agents insatisfaits – des émeutiers.

Quid du rôle des sites de réseaux sociaux et autres messageries instantanées? Les sociologues avancent qu’on peut le comprendre à travers un paramètre qu’ils appellent « vision » et qui représente la capacité des agents-émeutiers à scanner leur environnement pour détecter la présence de policiers ou d’autres émeutiers. Avec l’aide des réseaux sociaux, la vision des agents est améliorée et ils disposent de plus d’information, en temps réel, sur leur environnement proche et éloigné. Leurs déplacements ne se font donc plus au hasard, ils peuvent converger vers des points chauds et éviter les forces de l’ordre.

La représentation visuelle du modèle

Ces éléments – et quelques autres – constituent au final un modèle, une abstraction dans laquelle les sociologues peuvent modifier différents paramètres pour voir quels pourraient être les différents scénarios possibles. En l’occurrence, Casilli et Tubaro ont testé différents scénarios en modifiant la variable « vision » : lorsque que celle-ci équivaut à zéro, on se trouve dans une situation de censure totale des communications via les sites de réseaux sociaux par le gouvernement. Lorsque la « vision » vaut 9 (le score le plus élevé de l’échelle), les communications sont libres et non filtrées.

En jouant avec ces différentes possibilités, les sociologues montrent que les troubles sociaux changent effectivement selon le degré de censure – mais peut-être pas dans le sens espéré par  David Cameron lorsqu’il prône le filtrage. En effet, nous disent Casilli et Tubaro, une censure totale signifie que le niveau de violences civiles reste à son maximum, après l’éclatement initial. En revanche, la situation dans laquelle il n’y aurait aucun filtrage montre qu’après un niveau élevé de troubles initiaux, les violences suivent un cycle régulier avec des pics et des périodes de paix. En résumé, selon cette modélisation, la situation de liberté totale des communications est la meilleure, si elle n’empêche pas totalement les émeutes, elle est la seule dans laquelle on voit survenir des périodes de calme – et la tendance moyenne aux troubles sociaux est plutôt basse.

Si ce genre de modèle implique forcément quelques simplifications (pas plus que celles qu’on lit tous les jours dans les médias, argumentent les auteurs de l’étude), elle a le mérite de jeter un regard frais et dépassionné sur la situation.

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