« L’effet Streisand », c’est un peu ce qui est arrivé récemment au footballeur Ryan Giggs, élu meilleur joueur de l’histoire du club de Manchester United. L’idole des mancuniens avait obtenu une injonction d’un juge britannique pour empêcher la presse de parler de son aventure extra-conjugale. Mais voilà, au début du mois de mai, un utilisateur de Twitter écrit tout simplement ce que les médias devaient taire : « Le footballeur Ryan Giggs a eu une aventure extraconjugale avec la star de l’émission Big Brother Imogen Thomas pendant 7 mois. » L’information est alors reprise par des milliers de personnes sur internet. Le compte de la personne qui l’a révélée est suivi par plus de 100.000 autres utilisateurs en l’espace de quelques jours. Le 9 mai, au lendemain de la publication de ce tweet, Twitter a enregistré le plus de trafic sur son site au Royaume-Uni depuis sa création. C’est ça l’effet Streisand : plus vous essayez de censurer une information, plus elle s’amplifie. Ryan Giggs n’a pas retenu la leçon visiblement : son avocat a annoncé qu’il étudiait la possibilité d’attaquer Twitter en justice, ainsi que les milliers d’utilisateurs qui ont retweeté l’info. Ce qui, évidemment, en plus d’être probablement vain, n’a pas atténué l’effet boule de neige puisque le précédent record d’affluence sur le site de microblogging a été pulvérisé le jour de cette annonce. « La population carcérale britannique est de 84.000 personnes. Est-ce que Schillings [représentant la défense de Ryan Giggs] compte emprisonner les 30.000 (et plus) utilisateurs de Twitter qui ont bravé l’injonction de Ryan Giggs ? », écrit justement l’un d’eux. Médias sociaux et presse traditionnelle : deux poids, deux mesures? Pour le juge britannique Tugendhat, « le fait que des dizaines de milliers de personnes aient nommé le plaignant sur internet confirme que le plaignant et sa famille ont besoin d’être protégés d’une intrusion dans leur vie privée ». Et c’est un peu la prophétie qui s’auto-réalise : l’injonction amplifie l’importance de l’information, ce qui confirme qu’il fallait bien une injonction. Mais s’il n’y avait pas eu cette injonction, en aurait-on parlé autant ? Entre-temps, et pour ne rien arranger, John Hemming, un membre du parlement britannique opposé à de telles actions judiciaires, soulevait la question en séance sans omettre de nommer Monsieur Giggs : les parlementaires ne sont pas couverts par l’injonction. Finalement, seule la presse ne pouvait pas parler de ce que tout le monde savait déjà. « Ce n’est pas juste pour les journaux si tous les médias sociaux peuvent rapporter une information et pas eux, et donc la loi et la pratique doivent s’adapter à la façon dont les gens consomment les médias aujourd’hui », dans la bouche du premier ministre britannique David Cameron, la Twitter Power pallie aux manquements de la presse du XXe siècle (même si j’aurais remplacé « consomment » par « font »). Dans cette histoire, ce n’est pas tellement l’infidélité de Ryan Giggs qui est importante, mais plutôt le fait qu’un outil internet, très simple dans son concept et son utilisation (Twitter), puisse passer outre d’une loi sensée réguler le flux de l’information. La Twitter Power, par cet acte de désobéissance civile en masse, provoque une crise légale et constitutionnelle outre-Manche. Twitter avant les médias : d’autres exemples Des produits toxiques de la société Trafigura ont contaminé des dizaines de milliers de personnes en Côte d’Ivoire en 2006. Le saviez-vous ? Probablement. Ou peut-être pas. C’est que Trafigua a bénéficié aussi d’une telle injonction. Mais, en plus d’interdire la presse de révéler l’information, cette injonction interdisait aux médias… de dire qu’ils ne pouvaient pas en parler. Pourtant, et comme dans l’affaire Giggs, un membre du parlement britannique, Paul Farrelly, posa la question qui révéla l’existence d’un rapport scientifique incriminant Trafigura. De la même façon, la presse fut d’abord interdite d’en parler, l’information se répandit sur Twitter avant que plusieurs blogueurs influents ne la reprennent et que l’injonction ne fasse machine arrière. La question parlementaire fut soulevée le 13 octobre 2009. Voici une vidéo montrant les tendances de mots-clés sur Twitter juste après : Récemment, l’opération américaine qui a mené à l’exécution d’Oussama Ben Laden était twittée en direct. On se souviendra aussi de l’importance de Twitter dans l’affaire Dominique Strauss-Kahn, alors que certains médias interdisaient à leurs journalistes de twitter, voulant se réserver l’exclusivité de certaines informations. Ce qui fait la force de la plateforme de microblogging, c’est sa volatilité, sa liberté et sa spontanéité. Internet, sanctuaire d’une information libre? L’indépendance du cyberespace a été décrétée en 1996. Pourtant, il semblerait qu’il faille la défendre tous les jours contre toutes sortes d’intrusions. Certaines voix, et pas des moindres, s’élèvent sans surprise pour réclamer plus de contrôle, plus de régulation sur internet. Malgré tout, l’eG8, qui se terminait hier, avait bien quelques îlots de réalité. Mais comment pourrait-on arrêter les millions de personnes qui utilisent quotidiennement internet pour se transformer en journalistes citoyens et prendre, au milieu du bruit ambiant, leur avenir en main. Non, n’en déplaise à certains, internet n’est pas un monde parallèle peuplé de “pédonazis” (voir à ce propos cet article d’OWNI). C’est un monde bien réel, avec des gens comme vous et moi, et la circulation de l’information ne peut pas y être arrêtée bien longtemps. — Et vous, qu’en pensez-vous : le fait qu’une information soit publiée sur Twitter, alors qu’elle devait légalement être tue, doit-il remettre en cause le principe de cette « loi du silence » ? Est-ce que les médias sociaux et internet sont une victoire pour la liberté d’expression et l’information libre ? Utilisez-vous les médias sociaux comme une source d’information ? images : Captures d’écran, Twitter.