L’eurodéputée Julia Reda a mis la main sur un rapport datant de 2014 et, jusqu’ici passé sous silence, démontrant qu’il n’y avait pas de lien statistique entre le piratage et la baisse des ventes légales. On pourrait se demander si la non publicité de ce rapport était la possibilité de gêner le discours officiel des industries culturelles qui rabâchent depuis des années que le piratage nuit gravement aux revenus des ayants droit. Mais sont-ce des faits avérés ? C’est ce que la Commission européenne a tenté de vérifier en 2014, en finançant la société néerlandaise Ecorys à hauteur de 360.000 euros pour une vaste enquête. Étrangement, le rapport n’a jamais été rendu public depuis sa publication en mai 2015. Il aura fallu attendre l’intervention de la députée européenne allemande Julia Reda pour mettre la main sur les conclusions de cette étude. En parcourant ce rapport, on comprend mieux pourquoi la Commission ne l’a pas rendu public puisque celui-ci affirme qu’il n’y a pas de lien direct entre la baisse des ventes légales et la consommation illégale. Une conclusion pareille pourrait dédiaboliser le piratage ou légitimer l’accès aux biens culturels sur Internet. Un point qui arrange Julia Reda, membre du Parti Pirate allemand, qui milite pour un accès sans entrave aux savoirs et à la culture ainsi qu’à une reconnaissance des bienfaits d’Internet. Mais attention à ne pas tomber du côté obscur. Si les conclusions du rapport précisent qu’il n’y a pas de lien statistique entre le pirate et les ventes légales, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de lien du tout. D’ailleurs, une autre étude similaire vient renforcer la conclusion du rapport passé sous silence. À l’université de Varsovie, des scientifiques ont cherché à savoir si le retrait des ebooks sur les sites de téléchargement illégal modifiait les ventes des livres électroniques. Leur conclusion est claire : cela ne changeait en rien les ventes. Mais il y a tout de même une nuance à apporter, les données d’études étaient relativement limitées. Les scientifiques de l’université le disent eux-mêmes, il n’est pas possible de déduire une conclusion générale et définitive étant donné leur panel limité. Le sujet est donc à prendre avec des pincettes et on peut imaginer que la Commission ait pris peur face à l’impact qu’un tel rapport aurait pu causer. Un silence qui pose tout de même question pour une instance qui lutte pour l’intérêt général au sein de l’Union Européenne. Dans les faits, un tel sujet d’étude reste complexe de par la nature des données analysées. Les documents pirates qui pullulent sur la toile ne possèdent pas de registre précis de leur nombre et de leur genre. Des chiffres difficiles à obtenir qui entrainent un taux d’erreur très élevé, comme l’a précisé Ecorys. C’est pourquoi il est complexe de trancher précisément sur la question de l’impact négatif du piratage sur les ventes de produits culturels. Malgré cela, le rapport balaye l’idée infondée qu’un piratage est synonyme de perte de ventes. Tous les objets culturels à la même enseigne ? Si on se penche sur les catégories d’objets culturels, les observations ne sont pas les mêmes. Pour le cinéma et, surtout, les blockbusters, la consommation est impactée par le téléchargement illégal : “Pour dix films récents regardés illégalement, quatre films de moins sont consommés légalement”. En revanche, pour les jeux vidéo, il semblerait que le piratage agisse positivement sur leurs ventes légales. Cela vient du fait que certains jeux soient trop compliqué ou trop lourd à pirater, mais aussi qu’il est impossible d’accéder à des modes en ligne illégalement. Une révélation qui pose question sur les raisons pour lesquelles la Commission européenne n’a pas souhaité diffuser un tel rapport. Pour l’organisation qui milite pour la défense des libertés en ligne, European Digital Rights, la Commission européenne aurait intentionnellement supprimé le contenu de l’étude afin de la remplacer par un autre rapport, présenté aux parlementaires en 2016, et rédigé par… ses propres employés. Cette version retouchée ne reprenait qu’un seul passage de l’étude originale d’Ecorys qui concernait le cas des blockbusters et de la perte de ventes liée au piratage. Deux ans se sont écoulés depuis la remise de celui-ci et on peut imaginer qu’il n’aurait pas fuité sans l’intervention de Julia Reda. Reste à voir si la Commission va communiquer à ce sujet prochainement…