On parle beaucoup de gros sous sur le web en ce moment. Les compteurs s’affolent au rythme des prophéties à propos de la future entrée en bourse de Facebook, annoncée pour début 2012 : valorisé à 50 milliards de dollars en janvier 2011, 65 milliards en mars, c’est désormais plutôt la somme ébouriffante de 100 milliards qui est évoquée pour chiffrer la valeur du site de réseau social. Alors que les monnaies numériques, Bitcoins en tête, se développent à toute allure, on peut se demander lesquels de ces flux financiers sont les plus virtuels. Analyse. photos flickr par aresauburn™ Entre spéculations extravagantes et monnaies virtuelles, l’argent fait tourner la tête du web. Certains voient dans les dernières annonces au sujet de Facebook gonfler une nouvelle bulle purement spéculative destinée à éclater, qui permettrait à des entreprises encore largement déficitaires telles que Pandora, un service d’écoute de musique en ligne américain valorisée à 2,5 milliards de dollars lors de son entrée en bourse, d’être largement surévaluées. C’est en ce sens qu’a d’ailleurs été interprétée l’annonce, il y a quelques jours, de la perte de vitesse de Facebook en Amérique du Nord, en termes d’utilisateurs actifs. Les chiffres avancés ont depuis lors été relativisés par Facebook et leurs comparaison avec d’autres estimations montrent qu’il est très délicat de les interpréter de manière significative. Entre les annonces de valorisation de plus en plus folles, les guerres des chiffres autour des métriques censées refléter le succès du site, et un contexte plutôt favorable (le marché de la publicité en ligne aux États-Unis semble toujours en pleine croissance), les exercices de futurologie financière paraissent de plus en plus dérisoires – voire complètement virtuels ? Ce qui semble de moins en moins virtuel, en revanche, ce sont les monnaies… virtuelles, justement. On ne parle pas ici de paiements électroniques, mais de la création et l’échange de monnaie sur internet, complètement détachées du système bancaire. C’est le cas de Bitcoin, une monnaie virtuelle créée en 2009, sur un modèle décentralisé, sécurisé et anonyme. Les Bitcoins circulent via des réseaux peer-to-peer, et sont créés via un processus de « mining » (une analogie intéressante avec l’exploitation minière) : un utilisateur désireux de posséder des bitcoins doit installer une application sur son ordinateur, qui met la puissance de calcul de celui-ci à disposition du système (un fonctionnement distribué et sur base volontaire qui rappelle par exemple le projet Seti@home). De nouveaux Bitcoins sont générés au fur et à mesure des opérations, et redistribués aux utilisateurs proportionnellement à la puissance de calcul que leur ordinateur a fourni. photo flickr par dontmindme On est loin des whuffies, cette devise symbolique censée représenter le capital social d’une personne, qui s’échange parfois entre internautes en clin d’oeil aux romans de science-fiction de Cory Doctorow. Les Bitcoins, sont des jetons numériques autrement plus sérieux, qui se troquent contre des biens et services : jeux vidéos, service d’un webdesigner, etc. Des organisations comme Wikileaks, ou le groupe de hackers-plaisantins LulzSec sollicitent par exemple des donations en Bitcoins. Il est même possible de les échanger contre d’autres devises – le taux de change actuel étant d’un Bitcoin contre un peu plus de 19 dollars. Et les monnaies virtuelles s’accompagnent de scandales bien réels : les Bitcoins font surtout parler d’eux quand ils sont l’objets de vols spectaculaires, ou quand ils servent à acheter des drogues. Une autre devise numérique, celle qui sert dans le jeu de rôle massivement multijoueur World of Warcraft, a par exemple récemment été au coeur d’une affaire révélée par le Guardian : des prisonniers chinois seraient contraints à passer leurs nuits à jouer pour permettre à leurs gardiens de revendre aux prix fort les crédits accumulés dans le jeu. Mais au-delà de ces histoires plus ou moins anecdotiques, ces monnaies virtuelles possèdent un intérêt à ne pas sous-estimer : elles permettent aux internautes de s’intéresser de près aux questions monétaires. Le système Bitcoin se revendique comme une alternative aux banques, et permet à ses utilisateurs d’assister aux premières loges à la création de monnaie, de s’y impliquer et de comprendre ses mécanismes et ses injustices. Simulation grandeur nature aux vertus didactiques imprévues, la façon dont le marché des Bitcoins évolue donne lieu aujourd’hui à des cours d’économie express – et on peut supposer que les utilisateurs seront authentiquement curieux de savoir pourquoi leurs porte-monnaie virtuel se remplit moins vite qu’il y a six mois. Voilà un effet collatéral pédagogique et citoyen qui fait cruellement défaut à toutes les déclarations fracassantes à propos des millions de dollars que vaut, supposément, Facebook. En savoir plus : Un wiki à propos des Bitcoins Le dossier de Owni sur Bitcoin D’autres exemples de monnaies virtuelles. crédit photos flickr : aresauburn™ et dontmindme