Rendons la révolution aux Egyptiens, pas à Twitter

Le rôle, certain, tenu par les médias sociaux sur les processus démocratiques en Tunisie et en Egypte (et demain au Yemen, en Algérie ou au Maroc?) est une évolution, pas une révolution. La véritable révolution appartient à la rue. Ce n’est ni Facebook, ni Twitter, ni YouTube qui ont provoqué le départ de Ben Ali ou de Hosni Moubarak. Ce sont les gens. Ce sont ces dizaines de millions de Tunisiens et Egyptiens lambda qui ont foulé pacifiquement le pavé des jours durant qui ont eu raison de la dictature. Parce qu’ils ont faim, parce que leurs écoles sont en lambeaux, leurs hôpitaux à l’agonie, leur avenir en jachère, leurs libertés en miettes.

On oublie que des centaines de personnes sont mortes pour ces causes-là. Avaient-elles seulement la “chance”, tellement relative, d’avoir des “amis” sur Facebook, un abonnement data pour leur smartphone ou ne fut-ce qu’un modem 56K? Peut-être que oui, peut-être que non. Ce qui est certain, c’est qu’elles n’avaient plus de pain.

La révolution ne se fait pas depuis la Silicon Valley

Twitter, Facebook et consorts ne sont ni les détonateurs ni les sponsors de ces manifestations de survie démocratique. Ne leur laissons d’ailleurs pas la moindre chance de les confisquer à celles et ceux qui, en Tunisie en Egypte et ailleurs, en ont fait leur combat quotidien depuis la nuit des temps, bien avant que ces multinationales ne soient en état d’incubation dans les labos feutrés de la Silicon Valley.

Non, non et non, Internet, et singulièrement les médias sociaux, ne vont pas sauver la planète, pas plus que nous donner un gouvernement en Belgique sous prétexte que la parole serait, “enfin”, revenue au citoyen.

Le rôle des réseaux sociaux s’inscrit, finalement, dans la logique de l’histoire des moyens de communication. La rapidité avec laquelle se sont dénouées ces révoltes populaires est tout simplement proportionnelle à la vitesse de propagation massive de l’info. Mais ils n’en sont pas le détonateur.

Avant, ils avaient la télé

Les Allemands de l’Est n’avaient ni GSM ni YouTube pour faire tomber le Mur. Ils avaient la télé, qui diffusait les images de rassemblements à la frontière hongroise. Comme d’autres, pour d’autres révolutions, avaient la radio (libre), le fax, le téléphone, la presse (clandestine), le télégramme, le morse, les pigeons voyageurs… Et comme toujours, et sans jeu de mot déplacé, le téléphone arabe fait le reste. Il demeure sans nul doute le plus redoutable des dispositifs de mobilisation populaire. Twitter, Facebook ou YouTube s’inscrivent dans cette évolution.

Leur pouvoir n’a rien de virtuel. En témoignent les gesticulations des autorités pour en brider les effets. Mais, paradoxalement, en censurant le Net, qui ignore les frontières, elles donnent du grain à moudre à la communauté internationale. Un internaute occidental se ralliera d’autant plus facilement à la cause égyptienne, sans nécessairement en connaître les fondements, qu’on touche, là, à une de ses libertés fondamentales. Dans le même ordre d’esprit, l’auto-censure de YouTube en Tunisie paraît, tout à coup, plus insupportable aux yeux de nombreux internautes occidentaux, qui n’ignoraient pourtant pas les restrictions en matière de liberté d’expression qui sévissent depuis des années dans ce pays.

“I Like” Egypt

Comme tout nouveau moyen de communication de masse, les réseaux sociaux élargissent donc le champ de l’agora. Ils ancrent plus rapidement les sujets dans les conversations du quotidien, ils accélèrent la diffusion de l’info, créent une certaine synchronisation des opinions internationales, une sorte d’unanimité massive, laquelle trouve un écho tout aussi massif et unanime dans les médias des quatre coins de la planète. Et, partant, entretient la flamme, donne du baume au coeur des insurgés, redouble leur activisme numérique, etc, etc, etc.

Cela rappelle certains mouvements d’adhésion, sincères, sans doute, mais également faciles et de bon ton, comme les pin’s “Touche pas à mon pote” dans les années 80. Finalement, l’achat annuel du CD des “Enfoirés” ne mange pas pain, pas plus que de cliquer sur le bouton “J’aime” sur la page Facebook des supporters de Wael Ghonim, cet employé de Google Egypt, devenu la figure de proue du mouvement de contestation.

“J’ai toujours dit que si vous voulez libérer une société, il suffit de leur donner accès à internet” disait-il sur CNN, vendredi. Au passage, quel beau coup marketing pour Google, dont les employés égyptiens ont mis au point une plate-forme permettant de tweeter par téléphone, sans passer par Internet. Quelle jolie pub aussi pour Twitter, qui depuis la révolte iranienne et le report de son opération de maintenance, entretient son image d’outil de la démocratie. Et puis Facebook, qui détourne les projecteurs de la controverse sur ses pratiques en matière de respect de la vie privée. Et puis YouTube, dont on oublie tout à coup l’auto-censure en Tunisie.

Le nouveau pétrole

Il fut un temps, au lendemain des victoires de la démocratie, où l’on voyait se précipiter les géants mondiaux de l’industrie (compagnies pétrolières, minières, immobilières…). Aujourd’hui, ce sont les géants du Net qui s’y agitent. On ne néglige pas un potentiel de croissance aussi colossal, sur un marché de plusieurs centaines de millions d’habitants sous-équipés… Demain, espérons qu’ils aient du pain. Quoi qu’il en soit, ils auront des “amis” sur Facebook.

Des barricades place Tahrir aux barricades virtuelles, ne nous trompons pas de combat. Les réseaux sociaux ont joué un rôle capital, mais ils ne sont pas les hérauts de la révolution, ni les héros. Juste un moyen de communication, à l’efficacité redoutable.

Philippe Laloux

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