Internet menace-t-il nos vies ?

Internet est partout. C’est l’une de nos principales sources de communication. Et le reflet de nos vies, rien de moins. La Toile peut aussi être source de désagréments, de menaces. Les exemples ont été nombreux, ces derniers temps. Dans tous les sens. Un film montrant les ébats sexuels d’une mandataire CD&V diffusé sans son consentement. Des licenciements suite à un message posté sur Facebook. Des données bancaires volées via le piratage de PC banking. Des informations privées happées par Google Street View. Pour ne pas parler des risques croissants de plaintes en diffamation éveillés par l’apparition de Google plus. Quant aux récentes émeutes en Angleterre, elles ont été suivies d’arrestations facilitées par le web. Le gouvernement Cameron a annoncé qu’il filtrerait la Toile. Internet menace-t-il nos vies privée, professionnelle ou publique ? Eléments de réponse en trois points

« Non. Mais on doit être très vigilant ». Damien Van Achter, développeur éditorial pour Owni.fr : “Comme n’importe quel outil, internet est potentiellement dommageable. Il y a des hommes qui tuent leur femme avec un marteau et à ce titre, c’est préoccupant de savoir qu’un marteau est en vente livre. Mais un marteau, cela sert surtout à planter des clous. Faut-il remettre l’existence du marteau en cause ? Ce n’est pas la question économique et intellectuelle à se poser. C’est le même raisonnement pour internet.” Ce qui n’empêche pas de devoir encadrer son usage. “Effectivement. Mais j’ai plutôt tendance à croire que les lois existantes en Belgique et en Europe encadrent cela de façon assez importante. De ce que je peux voir de l’usage des réseaux sociaux, du peer-to-peer, des technologies de cryptage, je n’ai pas l’impression que l’on doive agir de façon spécifique. Cela ne signifie pas que de nouvelles lois ne devront pas être décidées à l’avenir au vu de nouveaux usages délictueux. Mais dire que l’on doit filtrer les réseaux sociaux pour empêcher les appels aux émeutes, cela me paraît nettement contestable.”

“Internet est en train de changer radicalement la perception que les individus ont de ce qui est privé et de ce qui est public. On n’a pas l’impression que quand on s’exprime sur internet, on est dans une gestion de sa vie publique. Pourtant, c’est le cas. Si je laisse un commentaire sur Facebook, sur un site, quand j’envoie un mail, je suis dans le cadre d’une gestion de données publiques – même si c’est contestable. A partir du moment où je publie quelque chose, je suis dans la rue numérique. C’est le cas de ce chauffeur de la Stib qui a publié sur YouTube une vidéo montrant l’état de délabrement de son bus. Il n’a reçu qu’un blâme, mais, oui, c’était une faute professionnelle grave. Il y a plein d’exemples de licenciements dus à des messages sur Facebook. Il faut assumer ses actes en bien ou en mal. Internet, c’est la vraie vie !”

“Ceci dit, nous ne sommes pas des machines. Connaître un échec, ce n’est pas infamant, on peut reconnaître ses erreurs. C’est une culture typiquement anglo-saxonne. Tout le monde n’est peut-être pas prêt à entendre ce discours-là à l’heure actuelle, mais internet, c’est aussi une leçon de vie. Je ne défends pas Facebook, Google, Twitter, qui gagnent de l’argent avec les données que les gens déposent sur ces réseaux. Mais leur prospérité repose sur des actes posés par les gens qui devraient être conscients. Or, ce n’est pas le cas. Et ce que je trouve regrettable, c’est le déficit absolu d’éducation en ce domaine.”

« Oui. Nos libertés sont menacées ». Michel Cleempoel, professeur d’arts numériques. “Nous devons être vigilants, c’est évident. Attention, que cela soit clair : nous défendons fortement internet ! Nous sommes surtout craintifs face aux tentatives faites par les Etats de le contrôler, de le filtrer. Nous dénonçons aussi toute l’utilisation commerciale qui en est faite. Internet est gravement en danger du fait qu’aux Etats-Unis, une page consultée sur quatre provient de Facebook. C’est une privatisation d’un espace qui était libre et ouvert, même s’il y avait une part d’utopie dans cette idée. Moi, je n’ai pas besoin de Facebook pour contacter des gens. Quand on m’envoie un message par ce réseau, je suis obligé de m’inscrire, ce que je refuse de faire. On essaye de capter les données privées des gens pour pouvoir les recommercialiser. Le contrôle étatique est l’autre danger. Il y a des choses délictueuses qui se passent sur internet, mais on utilise des bombardiers pour les contrer sans que cela ne porte vraiment ses fruits.”

“Des outils existent (pour éviter ça), comme les navigateurs et les serveurs libres et gratuits. Mais la grande majorité de la population s’en moque, étonnamment. Elle est davantage bluffée par l’aspect glamour, le côté « j’ai 1.200 amis » plutôt que par la vraie capacité à communiquer librement. Il faut développer l’analyse critique. Il y a là un énorme défi pédagogique. Les réseaux sociaux apparaissent comme des instruments de liberté absolue pour lutter contre des régimes dictatoriaux. Mais il faut s’en méfier. Poster sur Twitter un rendez-vous pour appeler à une manifestation, c’est absolument irresponsable, on l’a vu avec ce qui s’est passé en Angleterre. La traçabilité des données est éternelle. Tout ce que nous postons ne nous appartient plus, cela appartient au réseau social. Et c’est stocké on ne sait pas où, sous on ne sait quelle législation. C’est une menace réelle.”

Attention, notre responsabilité est engagée. Chaque utilisateur est responsable des nouvelles qu’il publie sur le web. Si ces informations constituent une diffamation en portant atteinte à l’honneur, à la considération ou à la réputation d’une personne physique ou moral, l’auteur peut être coupable d’un délit de presse. Et ces infractions en diffamation sur Internet ne vont cesser d’augmenter prédit Marc Lits, directeur de l’Observatoire du récit médiatique. Comment l’expliquer ? La distinction entre sphère privée et publique sur Internet est difficile à appréhender pour les internautes. Maître Alain Berenboom, avocat au Barreau de Bruxelles et spécialiste du droit des médias explique cette tendance. « Les gens pensent que Facebook est un espace privé, ils ont l’impression de s’adresser uniquement à leurs amis, mais sur le plan juridique c’est faux, dés lors que la page Facebook est ouverte, elle est aussi publique qu’un journal ». Marc lits insiste également sur l’aspect déresponsabilisant d’Internet : « Le fait d’être masqué et derrière un écran libère et permet d’aller plus loin dans les propos ». Et d’ajouter, « les internautes et surtout les jeunes ne maîtrisent pas l’impact du contenu qu’ils partagent sur les réseaux sociaux. Les messages envoyés à un ensemble de personne engendre un phénomène de surenchère ». Faut-il s’attendre à une multiplication des procès ?

La diffamation par la voie d’Internet peut être un délit de presse condamnable devant la Cour d’assise. Mais selon l’avocat Alain Berenboom il est très difficile d’agir au pénal, c’est trop coûteux. « Le parquet ne poursuit pas et prononce un non lieu » développe-t-il. Quentin Van Enis, chercheur au Centre de Recherches Informatiques et Droit à Namur parle d’impunité pénale. « On constate depuis plus de cinquante ans, un refus systématique des parquets généraux d’organiser des procès de presse devant la Cour d’assises ». La personne victime de diffamation peut toujours poursuivre son auteur au civil et des dommages et intérêts pourront lui être alloués. Mais il faut prouver devant le tribunal une faute et d’un préjudice, ce qui n’est pas toujours évident.

Le plus efficace reste de demander directement à l’auteur du commentaire diffamatoire ou au médiateur du site de supprimer ces déclarations. Là encore, ça se complique. A la différence des médias classiques, c’est souvent mission impossible pour connaître l’identité exacte de l’auteur du message. Supprimer les pseudonymes pour laisser place aux patronymes : c’est le nouvel objectif de Facebook et Google. Les géants du web souhaitent s’attaquer à l’anonymat afin de responsabiliser les internautes. Mais Internet reste très difficile à réglementer. Comment comptent-ils y parvenir ? Par ailleurs, une complète disparition de l’anonymat sur la toile risque d’affoler la communauté du web arguant une limitation du droit à l’oubli et de la liberté d’expression.

Olivier Mouton et Victoire Marcadé

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