Le Dothraki, le Sindarin, le Na’vi, le Chakobsa, d’où viennent ces langues inventées ?

Vous les avez déjà entendues. Le Klingon de Star Trek, le Sindarin de Tolkien, le Dothraki de Game of Thrones, et même l’Espéranto. Toutes ces langues ont un point commun. Ce sont des “conlang”. Qu’est-ce que c’est ? D’où ça vient ?  Pour découvrir les secrets de ces langues qui façonnent l’imaginaire, nous nous sommes entretenus avec le couple de linguistes le plus influent du cinéma : David et Jessie Peterson.

C’est quoi des conlang ?

Apparu en 1991 lors de la création d’une liste de diffusion par mail, “conlang” est devenu le terme consensuel pour désigner une langue créée. C’est la contraction de “constructed languages”. Bien que la popularité de ces langues inventées se soit accrue depuis l’essor de la science-fiction et de la fantasy, elles connaissent une origine plus lointaine.

Le conlang moderne prend ses racines dans l’invention des langues dites véhiculaires (langue qui permet les échanges entre des groupes parlant des langues différentes), comme le Volapük et l’Espéranto. Ces deux langues furent inventées à la fin du 19e siècle. La première par un prêtre allemand dénommé Johan Martin Schleyer, la deuxième par un ophtalmologue polonais, Ludwik Lejzer Zamenhof. C’est ce que l’on appelle des langues auxiliaires internationales, conçues dans une optique de neutralité linguistique. Le Volapük est tombé dans l’oubli, mais l’Espéranto continue tant bien que mal à prospérer. Même si son succès est relatif, on dénombre quelques centaines de milliers de locuteurs dans le monde. À l’oral, l’Espéranto est très simple à comprendre, surtout si notre langue maternelle est une langue latine comme le français, l’espagnol, l’italien, le portugais ou le roumain.

David et Jessie Peterson sont les deux linguistes les plus influents du cinéma. Inventeur de langues, le couple est devenu la référence dans la création de langues dans l’industrie audiovisuelle. Après une rencontre lors d’une conférence en linguistique à l’université du Texas, à Austin, les deux linguistes ont vu leur relation évoluer autour de la création de langue.

Le gamechanger : Game of Thrones

David a fait sa renommée avec la série de tous les records, Game of Thrones. Sa pierre à l’édifice ? Les langues Dothraki et le Haut Valyrien. Il a eu le job grâce à une compétition créée par la Conlang Creation Society.

“L’organisation avait reçu une offre d’emploi pour créer une nouvelle langue pour une série produite par HBO. Une compétition a été organisée et j’ai gagné. Il s’est avéré que c’était pour Game of Thrones.”

Comment un linguiste crée une nouvelle langue ? David précise que peu importe le projet, le processus est le même. Il s’agit tout d’abord de savoir d’où on part. Est-ce une langue parlée, signée, visuelle, écrite.

“De manière générale, on commence avec le son, puis on développe la grammaire et après tout le reste. Le plus important, c’est d’essayer de créer quelque chose d’authentique, de différent. En s’appuyant au minimum sur des langages existants.”

Pour sa contribution à l’adaptation du trône de fer, le linguiste recevait les scripts en amont et on lui demandait une traduction des dialogues. Dans l’introduction de son livre, David partage une anecdote amusante. Lors de son premier visionnage de la série, lors de la première ligne de dialogue en Dothraki, il remarqua qu’une erreur avait été commise. Il l’a alors signalé aux créateurs, David Benioff et Dan Weiss, qui lui ont répondu “ Vous savez, nous étions en train de discuter, et nous avons réalisé que si l’un des acteurs faisait une erreur, qui le saurait, à part vous ?”

Depuis Game of Thrones, il a travaillé sur une quantité impressionnante de projets, tant pour le grand et le petit écran. The 100 (2014), Thor (2013), Bright (2017), Doctor Strange (2016), la liste est longue, mais son projet favori est cependant la série de science-fiction Defiance. Diffusée sur la chaîne Syfy aux états-unis, la série reste méconnue en Europe. C’était le premier projet où il se sentait réellement inclus et respecté dans le processus de création.

“J’étais bien plus inclus. J’étais présent sur le tournage, je côtoyais les membres de l’équipe technique, les acteurs. C’était super.”

Travailler depuis le tournage semble quelque chose de bien plus épanouissant pour David. “Pour le tournage du film Bright , j’étais sur le plateau tous les jours”. Le tournant dans sa vie personnelle et professionnelle, c’est la rencontre avec sa femme, Jessie. Aussi linguiste et qui travaille depuis 2019 avec lui.

“Ça fait 15 ans que je crée pour le cinéma et la télévision, et les meilleures années sont depuis que je travaille avec ma femme.”

Elle travaille souvent sur les tâches les plus “exigeantes”, pendant que David se concentre sur les “choses plus simples” , précise-t-il. Une optimisation du travail, qui semble convenir au couple. Il va aussi s’occuper des enregistrements tandis qu’elle préfère travailler sur papier, sur l’écriture par exemple.

Depuis 2018, le linguiste  travaille aussi sur des cours de Haut Valyrien pour l’application Duolinguo. Une expérience qu’il adore.

Il y avait une courbe d’apprentissage au début, mais c’est assez gratifiant. Je suis devenu bien plus fluide dans l’usage de la langue et je travaille toujours dessus parfois. C’est très fun.”

Un récent succès avec Dune

Lisan-Al-Gaïb, Muad’Dib, plus récemment, on peut admirer le travail des linguistes dans l’adaptation de Dune par Denis Villeneuve. Sorti à la fin du mois de février 2024, David Paterson a créé la langue des Fremens : le Chakobsa. Très peu entendue dans le premier volet, la langue est omniprésente dans le second film de presque trois heures. Ce qui n’empêche pas de retransmettre l’humour, la peur, la tristesse, bien au contraire. Javier Bardem est d’ailleurs devenu un running gag sur les réseaux sociaux, avec ses exclamations et autres phrases prophétiques.

Pour ce projet, sa démarche fut quasiment la même que pour Game of Thrones. Il existait déjà une “base” avec les romans, mais l’objectif était de “s’affranchir au maximum des livres”, pour créer de quelque chose d’authentique, tout en respectant certains aspects de l’œuvre originale. Quand on lui demande ce qui fait les particularités de cette langue, il répond que c’est “comme demander à quel point le néerlandais est différent d’une autre langue. C’est avant tout un langage humain. On ne peut pas vraiment le comparer à quoi que ce soit d’autre. On essaie avant tout de faire quelque chose de grande qualité.”

“Travailler sur le premier film était intéressant, mais on a été interrompu par la pandémie. Ça a tout changé.” Pour le deuxième opus, David et sa femme Jessie ont eu l’opportunité d’être invité à travailler directement depuis le studio de tournage à Budapest, en Hongrie. “Ils nous ont invités sur le tournage. On avait un bureau où on pouvait travailler sur la traduction du script. Assez curieusement, les acteurs n’étaient pas encore présents.”

Les projets continuent et vont continuer. Toujours très sollicité, le couple de linguistes a également travaillé récemment pour Pixar sur le film Élémentaires. Cet été, nous pourrons retrouver leur travail sur la saison 2 de la série HBO House of the dragons. David et Jessie avaient déjà participé à la création de la saison 1 de cette série spin-off de Game of Thrones mais cette fois-ci, le projet linguistique autour des langues est bien plus ambitieux.

“On a beaucoup aimé travailler sur House of the Dragons. On a dû mettre au point un système d’écriture, ce qu’on avait pas fait pour Game of Thrones.”

 

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