Crédit photo : AFP

Des vols menacés par des brouilleurs en Europe : peut-on encore voler en toute sécurité ?

Selon le tabloïd britannique The Sun, plus de 2 000 vols Ryanair et 1 350 vols Wizz Air ont enregistré des attaques au niveau des systèmes de navigation. Depuis l’an dernier, les autorités ont recensé 46 000 incidents.

Diverses études, rapports et articles pointent du doigt l’augmentation des cyberattaques dans l’aviation. Et plus précisément, dans des zones proches de conflits. Les pays baltes, le Moyen-Orient, le Caucase, toutes ces attaques ont un point commun : les systèmes GNSS. Cependant, on observe différentes attaques, le spoofing et le jamming. On vous explique.

GNSS, GPS, Spoofing, jamming, de quoi on parle ?

Le GNSS (global navigation satellite systems) est l’appellation universelle qui réfère aux systèmes de positionnement, de navigation et de synchronisation par satellite. Notamment utilisé dans l’aviation pour les GPS à bord des avions. En Europe, le système de navigation par satellite Galileo a été mis en place par l’Union européenne en 2011. Le GNSS le plus utilisé dans l’aviation reste cependant le système américain, le GPS. Le “Global Positioning System” est un système de positionnement par satellite, d’abord crée pour une utilisation militaire, ce système est depuis devenu omniprésent partout.

Le “jamming”, ou brouillage en français consiste à envoyer de manière intentionnelle une fréquence radio pour bloquer les signaux des satellites. Le spoofing réfère à une nouvelle méthode d’interférence, par manipulation des données. Le brouillage va consister à émettre de manière intentionnelle une fréquence radio pour bloquer les signaux satellites, le spoofing va plus loin que ça. Cette méthode consiste à envoyer de fausses informations aux serveurs à bord des vols, dans l’optique de tromper le GPS en le faisant calculer une mauvaise position. Cela compromet considérablement la fiabilité des données GPS, essentielles pour la navigation, la synchronisation du temps, etc.

L’organisation de surveillance du trafic aérien OPSGROUP a publié un exemple de spoofing, grâce à une photo prise par un membre d’équipage à bord d’un vol au-dessus du Moyen-Orient.

L’écran de navigation montre la fausse position GPS, située à l’aéroport de Beyrouth, au Liban. Les pilotes ont pu désactiver les capteurs GPS et alors affiché leur position réelle. Si les pilotes n’avaient pas désactiver les capteurs GPS, l’avion aurait alors été affiché sa position au Liban.

Le spoofing devient de plus en plus simple. Todd Humphrey, un docteur spécialisé en ingénierie aérospatiale, indique que dans le cadre de son doctorat, il avait mis 6 mois à créer un “spoofer” GPS. On peut désormais, télécharger un logiciel sur Github (entreprise de développement et services logiciels).

Un phénomène qui prend de l’ampleur

En janvier 2024, l’agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) rapportait que les compagnies aériennes étaient de plus en plus victimes d’interférences au niveau de ces systèmes de navigation GNSS. Le directeur général de l’association du transport aérien international (IATA) précisait alors qu’il était indispensable d’établir un “partage des données de sécurité GNSS”. Ainsi que d’instaurer un ‘”engagement des États à conserver les systèmes de navigation traditionnels comme solution de secours”. Il est donc d’une nécessité la plus urgente que les membres d’équipages et constructeurs aéronautiques fassent de cette situation une priorité.

Luc Tytgat, directeur exécutif de l’AESA a déclaré que “les systèmes GNSS offrent des avantages considérables à l’aviation en augmentant la sécurité des opérations dans un espace aérien partagé très fréquenté. Mais nous avons constaté une forte augmentation des attaques contre ces systèmes, ce qui pose un risque pour la sécurité. Nous devons immédiatement veiller à ce que les pilotes et les équipages puissent identifier les risques et sachent comment réagir et atterrir en toute sécurité.”

La situation le 26 avril 2024 © gpsjam

En creusant un peu, on constate qu’une augmentation de ces incidents avait déjà été identifiée en novembre 2023. En effet, l’agence européenne avait alors publié un bulletin d’information de sécurité indiquant une augmentation des interférences par brouillage et spoofing. Et cela, depuis février 2022, date marquant le début de l’invasion russe en Ukraine. Ce bulletin révèle que certaines régions bien spécifiques sont visées. On observe les augmentations les plus fortes dans les pays proches et frontaliers de la Russie, mais également les zones proches de l’Ukraine. Ces attaques touchent des pays tels que la Roumanie, la Turquie, la Biélorussie ou encore la Finlande. Le rapport est encore plus précis que ça. Il pointe des zones géographiques très spécifiques, comme le nord d’Helsinki, l’Ouest de Vilnius, Istanbul, mais aussi Kaliningrad, en Russie.

Dans un article publié par le média Bloomberg, Martin Herem, commandant des forces de défense estoniennes, affirme que “la Russie serait en train de tester ses capacités en brouillage et spoofing, dans l’optique d’un conflit avec les forces de l’OTAN”. Il n’est toutefois pas possible de vérifier cette affirmation puisque le spoofing est utilisé aujourd’hui par toutes les factions ne serait-ce que pour désorienter les drones dans les zones de guerre, notamment en Ukraine, mais aussi en Russie, qui est elle aussi la cible d’attaques de drones ukrainiens. L’AESA, a déclaré que pour le moment, il n’y “aucune preuve de l’implication de l’État et rien n’indique non plus que l’aviation civile est visée”. Les conséquences pourraient donc tout à fait ne pas être intentionnelles.

Glenn Bradley, responsable des opérations de vol à l’autorité britannique de l’aviation civile, précise à The Sun, qu’il faut faire attention lors d’incidents de brouillage. “Le brouillage du GPS n’a pas d’incidence directe sur la navigation d’un aéronef. Bien qu’il s’agisse d’un problème connu, cela ne signifie pas qu’un aéronef a été délibérément brouillé”.

L’AESA met cependant en garde sur le spoofing, méthode bien plus dangereuse. Il est pour le moment impossible de prédire ces interférences, dont les conséquences peuvent être très graves :

  • Un guidage de vol incohérent.
  • Perte ou erreur du système de surveillance.
  • Perte ou confusion des systèmes dépendant du temps.
  • Position de l’aéronef incohérente et potentiellement trompeuse, et vitesse du sol ou du vent sur l’écran de navigation.
  • Incapacité d’utiliser le GNSS pour la navigation, y compris la navigation par points de cheminement.
  • Incapacité d’effectuer ou de maintenir des opérations de navigation de surface.

Les mêmes incidents au Moyen-Orient

En septembre 2023, OPSGROUP (un groupe communautaire de surveillance du trafic aérien) a dévoilé 12 incidents sur des appareils circulant dans l’espace aérien Irakien et Iranien. En octobre 2023, l’organisation détecte de nouveaux incidents. Cette fois-ci dans le bassin Est méditerranéen.

Incidents repérés en octobre 2023 © gpsjam

Le rapport indique que les avions affichaient une fausse position. Plaçant ces appareils à Tel Aviv en Israël, alors qu’ils se trouvaient en Jordanie. L’organisation sonne l’alerte. Il faut “informer les équipages volant au Moyen-Orient et dans la région méditerranéenne de ces événements GPS, qui peuvent avoir un impact soudain et grave sur la capacité de navigation”. Toujours selon OPSGROUP, la compagnie fret UPS a signalé en décembre dernier une augmentation des brouillages et de spoofing autour de l’Azerbaïdjan, la mer noire, la mer rouge et l’Est méditerranéen.

© OPSGROUP

En janvier 2024, des interférences GPS près de l’aéroport international Ben Gurion en Israël ont été signalées. Dans la plupart de ces incidents, les pilotes ont perdu l’utilisation de leur système de navigation.

Pour le moment, aucun accident grave n’a eu lieu. Mais depuis l’augmentation de ces incidents en zones proches de conflits, l’industrie aéronautique commence à s’inquiéter. Au Moyen-Orient, et en Europe, la perturbation des signaux GPS semble être une conséquence des conflits dans les régions voisines.

Une chose est sûre toutefois : il n’y a pas de quoi paniquer pour le moment si vous devez prendre un vol dans l’une de ces régions. Ces deux méthodes de brouillage n’ont pour l’instant mené à aucun accident.

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