Publié en 1965, le roman de Frank Herbert a eu le droit à son lot d’adaptations. David Lynch a réalisé une version cinéma en 1985, et deux mini-séries, Dune et Les Enfants de Dune ont vu le jour en 2000 et 2003. Cependant, c’est avec les sorties des films de Denis Villeneuve que l’œuvre de science-fiction connaît un succès populaire mondial. Les choix des réalisateurs et scénaristes concernant les éléments orignaux d’un œuvre sont cruciaux pour une bonne adaptation. Peter Jackson s’était permis de nombreuses libertés vis-à-vis des péripéties des personnages de Tolkien dans sa trilogie. Denis Villeneuve a fait la même chose pour ses films Dune. Tant que l’histoire reste globalement inchangée, les fans des œuvres originelles peuvent se satisfaire de l’adaptation. Entre les grandes absences dans le film et les petits détails, nous vous présentons toutes les différences que nous avons trouvé entre le roman Dune et son adaptation par Denis Villeneuve. La Guilde spatiale Entité très importante dans les romans et dans l’histoire du cycle de Dune, ce sont les grands absents de l’adaptation de Villeneuve. Fondée 10 000 ans avant les événements de Dune, après le jihad Butlérien (une croisade contre les ordinateurs et les machines pensantes), sa création marque le début du calendrier impérial dans l’histoire de Dune. Frank Herbert définit le jihad Butlérien dans son glossaire.“ Croisade lancée contre les ordinateurs, les machines pensantes et les robots conscients en 201 avant la Guilde et qui prit fin en 108. Son principal commandement figure dans la Bible Catholique Orange : “Tu ne feras point de machine à l’esprit de l’homme semblable.” À la fin de cette “grande révolte”, une convention tripartite entre la Guilde, les Grandes maisons et l’Imperium fut instaurée. La Guilde est une des organisations les plus puissantes et importantes dans l’univers de Dune qui détient le monopole du voyage spatial. Frank Herbert ne décrit pas spécifiquement les membres de la Guilde dans le premier roman. Ils ne sont même pas présents physiquement dans le récit. Cela dit, l’organisation joue un rôle important, dans l’ombre. Premiers exportateurs du Mélange (ou “épice”, la substance produite sur Arrakis qui prolonge la vie, renforce les défenses immunitaires, et permet les voyages interstellaires), elle surveille attentivement ce qu’il se passe sur Arrakis. Cependant, il est expliqué dans le roman que la Guilde ne peut surveiller via des satellites la planète, après un accord avec les Fremen. C’est la principale raison pour laquelle on ne sait pas précisément combien de Fremen peuplent Arrakis et que le Sud est perçu comme inhabitable. Des êtres mystérieux qui ne sont pas décrits avant Le Messie de Dune, publié en 1969. Frank Herbert introduit le personnage d’Édric, une poisson humanoïde d’une silhouette allongée, avec des pieds à nageoires qui se déplace dans un réservoir de gaz épicé. Les navigateurs de la Guilde détiennent aussi le pouvoir de prescience, comme Paul. C’est ce don qui permet à Paul d’envisager plusieurs futurs possibles et à la Guilde d’effectuer les voyages interstellaires. Un représentant de la Guilde dans l’adaptation de David Lynch. Lorsque Paul boit l’eau-de-vie, une vision lui apparaît, montrant les dangers de l’alliance secrète entre la Guilde et l’Empereur. Il prend alors la décision de prendre le contrôle du Mélange.”Qui a le moyen de détruire l’épice, le contrôle réellement” dit-il à fois dans le livre que dans le film. Connaissant l’importance de cette organisation dans le cycle de Dune, Denis Villeneuve inclura probablement la Guilde dans son troisième et dernier film. Où sont Alia et Leto Atréides ? À gauche, Alia dans l’adaptation de David Lynch. À droite, dans celle de Denis Villeneuve. Si vous n’êtes pas familier de l’œuvre de Frank Herbert, ces noms vous disent probablement pas grand-chose. Et c’est normal, Denis Villeneuve a fait le choix de les retirer de l’histoire, enfin… presque. Dans le roman Dune, aux trois-quarts de l’intrigue, une ellipse temporelle de plusieurs années a lieu pour justifier certaines évolutions narratives. On découvre un Paul installé au sein des Fremens, qui a développé son influence. Mais ce n’est pas tout. Deux personnages font leur apparition. Alia Atréides, la sœur de Paul, et Leto, le fils de Paul et Chani. Dans les récentes adaptation, l’intrigue avance beaucoup plus rapidement. La grossesse de Jessica nous indique que seulement quelques mois se passent entre la fin du premier film et la fin du deuxième. Alia est donc la fille du Duc Leto et de Jessica, alors enceinte lors de l’assassinat du Duc. Encore enceinte de sa fille, Jessica devient une Révérende Mère, donnant à elle et sa fille certains pouvoirs. En devenant Révérende Mère, elles obtiennent l’accès à la mémoire de toutes les Révérendes Mères qui les ont précédées. Alia est décrite dans le livre comme une enfant de 2 ans, très intelligente mais très bizarre. Les Fremens sont par ailleurs perturbés par son existence. Ayant atteint un état de conscience avant sa naissance, elle est alors devenue une “pré-né” et risque de devenir une “abomination” (lorsque la personnalité d’un de ces ancêtres prend le contrôle de sa conscience). Alia joue un rôle important dans la fin du livre, mais surtout dans la suite de Dune. Elle apparaît brièvement dans le film à travers une vision de Paul et est incarnée par Ana Taylor-Joy. À contrario, le fils de Paul et Chani n’apparaît pas du tout dans le film. Une potentielle grossesse de Chani n’est même pas évoquée tandis que dans le roman, Leto, alors jeune enfant se fait assassiner. Cela dit, même dans le livre, cet événement a peu d’incidence sur l’intrigue. Il sert juste à installer le deuil de Chani, qui sera plus développé dans Le Messie de Dune. Le livre et le film finissent sans sa présence. Une différence notable concernant l’évolution du couple de Paul et Chani, mais qui se justifie par son manque d’importance narrative. Chani, complètement revisitée Interprétée par Zendaya, la Chani de Denis Villeneuve est bien différente de celle du livre. Au-delà des différences physiques notables, notamment, la couleur de ses cheveux (rouges dans le livre, bruns dans le film), son intrigue et son développement ont complètement été remaniés dans les films. Très discrète dans le premier volet, elle a un rôle central dans le second. À gauche, Zendaya qui incarne Chani, à droite, une illustration par Raúl Allén. Tout d’abord, sa parenté avec Liet Kynes, l’écologiste est mise à la trappe. Souvenez-vous, Liet Kynes est la Fremen qui sert de liaison entre les populations locales d’Arrakis et le Duc Leto dans le premier film (d’ailleurs dans le livre, c’est un homme et dans le film, une femme.). Dans le livre, le destin du personnage est tragique. Abandonné dans le désert sans combinaison de survie par les Harkonnen, il meurt. Dans le film, Chani devient un élément de la prophétie du Lisan-Al-Gaïb. Pour rappel, cette prophétie messianique, présage la venue d’un prophète qui guidera les Fremen et Arrakis vers un “paradis vert”. Cette “voix du monde extérieur ” (traduction de Lisan-Al-Gaïb), c’est donc censé être Paul. Cette prophétie fut implémentée au sein de la civilisation Fremen par l’ordre des Bene Gesserit, au cours de leur longue campagne de propagande religieuse. Dans le roman et les films, bien que Paul questionne sa nature prophétique, il finit par accepter son rôle de prophète et finira par guider le peuple Fremen et les emmener dans sa guerre sainte. Pour alimenter son récit et renforcer le personnage de Chani, Denis Villeneuve la fait devenir un élément indispensable pour le dénouement de l’intrigue. Lorsque l’on apprend le nom Fremen de Chani, “Sihaya” (printemps du désert), Chani évoque à Paul qu’elle n’aime pas ce nom et qu’il fait partie d’une “prophétie”. On finira par comprendre qu’il s’agit bien de la prophétie du Lisan-Al-Gaïb. Sans elle, Paul ne reprendrait pas conscience après avoir bu l’eau-de-vie. Lorsque Chani retrouve Paul dans un coma (qui par ailleurs dure plusieurs semaines dans le livre), elle pleure, puis mélange ses larmes à l’eau-de-vie pour le réveiller. Elle accomplit alors une partie de la prophétie et rien de tout cela ne figure pas dans le roman. Un autre changement radical, c’est son allégeance à Paul. Pendant tout le deuxième film, l’évolution du personnage nous fait comprendre petit à petit qu’elle rejette la prophétie. Lorsque Paul assume son statut et devient alors leader des Fremen pour attaquer l’Empereur, Chani est de suite bouleversée. La fin du film est donc radicalement différente, puisqu’elle part. Là où dans le livre, elle accepte le dénouement de l’histoire, la guerre sainte de Paul et son statut de concubine. Le Messie de Dune se déroule 12 ans après la fin des événements du premier tome et débute avec Chani aux côtés de Paul. Cet ajout présage donc des changements radicaux pour la suite. Denis Villeneuve a sûrement déjà tous ses plans en tête et trouvera sûrement des moyens pour expliquer le revirement de Chani dans la suite. Tous ces changements contribuent à renforcer le développement du personnage de Chani, la faisant devenir un personnage bien plus important et fort. Les Harkonnen Concentrons-nous tout d’abord sur les changements physiques drastiques que Denis Villeneuve a effectué. A-t-il une dent contre les chauves ? On pourrait le croire puisqu’il a rendu tous les grands méchants figures du mal absolu, chauves et au teint pâlot. Au-delà de leurs crânes dégarnis, ils semblent être complètement imberbes. Un choix scénaristique sûrement motivé par leur planète, Geidi Prime, où la lumière se fait rare. La description de Feyd Rautha dans le livre est bien différente. Décrit comme un garçon de 16 ans, au visage rond avec des cheveux foncés et des yeux maussades, dans le film, il n’a clairement pas 16 ans et ne ressemble en rien à cette description. On pourrait même dire que l’Elvis d’Austin Butler ressemblerait plus à Feyd Rautha que le Feyd Rautha d’Austin Butler. Feyd Rautha ©John Schoenherr Bien que dépeint comme instable dans le film, le roman met bien plus l’accent sur son égocentrisme et sa sociopathie. Là où dans le film, il semble loyal à son oncle, le Baron, le roman montre un Feyd Rautha bien plus assoiffé de pouvoir, qui souhaite la mort de son oncle. Par ailleurs, dans le livre, Feyd Rautha ne prend pas le contrôle d’Arrakis à son frère Rabban et le combat final entre lui et Paul est sensiblement différent. Denis Villeneuve met en scène un combat brutal où Paul finit par poignarder Feyd Rautha dans le ventre. Frank Herbert dépeint un combat moins frontal, où l’antagoniste utilise des lames empoisonnées et qui fini par être poignardé au visage. Le destin du Baron est lui aussi différent. Alors, oui, il meurt bien dans le film et dans le livre au même moment de l’intrigue. Cependant, ce n’est pas Paul qui le poignarde, mais sa petite sœur de 2 ans, Alia. La trahison du Docteur Yueh Wellington Yueh dans Dune (2021) Central dans l’intrigue, le docteur Yueh est le traitre dans la maison Atréides. Ses actes mènent à l’assassinat du duc Leto et à la fuite de Paul dans le désert d’Arrakis. Dans le roman, Yueh est un personnage imparfait, tiraillé par l’idée de trahir le duc. Motivé par l’amour, il est prêt à “sacrifier des milliers de personnes” pour libérer sa femme Wanna des Harkonnen. Il aide même à Paul et à Jessica de prendre la fuite. Dans les films, sa personnalité est bien différente. Il semble distant, reléguant au second plan le conflit intérieur qu’il ressent pour sa femme. Ce choix donne l’impression que la trahison de Yueh est un détail dans l’intrigue plutôt que le dernier acte d’un homme désespéré, comme décrit dans le livre. Par ailleurs, le film complètement omet les soupçons portés sur Jessica concernant la trahison. La princesse Irulan Grande absente du premier film, elle fait enfin son apparition dans le deuxième volet et est interprétée par Florence Pugh. Présence discrète dans le roman, elle est tout de même au cœur du récit, car c’est elle qui chapitre l’intrigue par des interventions épisodiques. Des extraits de son journal où elle donne des détails sur l’histoire de Dune, de Paul et d’autres éléments. Cela permet au lecteur de mieux comprendre certains enjeux et de se repérer dans le récit. Dans Dune 2, sa présence renvoie aux livres, on la voit souvent enregistrer des données dans son journal. Personnage discret dans le premier tome et dans les films de Villeneuve, son destin lui réserve une importance bien plus grande dans Le Messie de Dune. Où est passé Thufir Hawat ? Stephen McKinley Henderson interprète Thufir Hawat dans les films de Denis Villeneuve Thufir Hawat (Stephen McKinley Henderson) est un “mentat” au service de la famille Atréides. Présent dans le premier film de Denis Villeneuve, il semble avoir disparu dans le second… alors qu’il a un rôle intéressant dans le roman. Fidèle serviteur des Atréides, Thufir Hawat est convoqué par le baron Harkonnen après l’assassinat du duc Leto. Le baron force son asservissement en lui administrant un poison et en dissimulant par faibles doses un antidote dans sa nourriture, afin de décider au moment voulu de le tuer ou non. Thufir Hawat trahit contre son gré la maison Atréides, et devient un serviteur des Harkonnen. Dans le roman, il utilise sa position pour tenter tant bien que mal de manipuler les Harkonnen. Par exemple, c’est lui qui décide de ne pas droguer un des gladiateurs lors du combat prévu pour l’anniversaire de Feyd Rautha. Et non le Baron, comme montré dans le film. Les mentats sont apparus après le Jihad Butlérien, afin de remplacer les machines pensantes. Un mentat arrive à atteindre une vitesse de traitement d’informations et de calculs digne d’un ordinateur. Ils servent principalement comme conseillers politiques aux Grandes Maisons. Denis Villeneuve a cependant justifié son absence dans le film. Dans une interview pour le média américain Entertainment Weekly, le réalisateur explique son choix.“ Quand on adapte, il y a toujours une forme de violence à l’égard du matériau d’origine. Il faut changer les choses, il faut plier, il faut faire des choix douloureux”. L’absence du comte Fenring Le nom Fenring ne vous sera pas étranger. L’actrice française Léa Seydoux incarne Margot Fenring dans Dune 2. Bien que la Bene Gesserit soit importante dans le roman, son mari, lui, a une présence bien plus significative. Un personnage complètement effacé dans l’adaptation de Villeneuve. Mais alors qui est-il ? Le comte Fenring est un ancien prospect pour devenir le Kwisatz Haderach (un individu supposément supérieur dû à des siècles d’optimisation génétique contrôlée par l’ordre des Bene Gesserit). On apprend dans le roman que Paul n’est pas le seul prospect de l’ordre. On nous indique qu’il y en a eu par le passé et qu’il y en aura sûrement d’autres dans le futur. Le comte Fenring était l’un de ses prospects. On rencontre ce personnage lors de l’anniversaire de Feyd Rautha, sur Geidi Prime. L’homme, décrit comme petit, faible est un eunuque, agent de l’Empereur. Il finira cependant par trahir l’Empereur en refusant de s’attaquer à Paul lors de son ascension. © John Schoenherr La physionomie Arrakis Capitale du Nord d’Arrakis, la ville est un peu tombée dans l’oubli, pour des raisons évidentes de narration. Lieu secondaire dans l’intrigue, présenter la ville comme dans le livre aurait été de trop. Dans les films, la ville est brute, industrielle et qui semble presque sans vie. À aucun moment, on ne voit les habitants. Dans le livre, on présente la ville comme un lieu de commerce où des Fremen cohabitent avec des individus provenant d’autres lieux dans l’univers. Denis Villeneuve a fait le choix de changer la physionomie d’Arrakis. Dans le film, le réalisateur fait le choix de séparer le peuple Fremen en deux camps. Les sudistes et les nordistes. Les populations du Sud sont des fondamentalistes religieux, guidés par la prophétie du Lisan-Al-Gaïb. Les gens du Nord, eux, semblent plus éloignés de celle-ci. Par ailleurs Stilgar devient dans le film, un Fremen du Sud. Denis Villeneuve a fait appel à des linguistes pour créer la langue des Fremen. Fortement inspiré par des dialectes arabes, Herbert a commencé à créer une langue pour les autochtones d’Arrakis. Dans le livre, à part pour quelques mots ou phrases, on n’entend pas beaucoup parler de celle-ci. Denis Villeneuve a porté une attention particulière à la création de cette langue, présente tout au long du film. Le réalisateur a fait appel à des experts des “conlag” (constructed language), comme dans Game of Thrones. Dans un entretien avec les créateurs de la langue Fremen pour le magazine français Télérama, on apprend que l’équipe du film s’est à la fois inspirée des notes de Frank Herbert et que sa structure est plus complexe que l’anglais et le mandarin. Quelques détails qui changent Le destin de Gurney Au cours de son évolution chez les Fremen, Paul s’attaque à une exploitation d’épices de contrebandiers. Paul tombe alors par hasard sur Gurney, son mentor et grand ami. Les retrouvailles sont identiques dans le film et le livre, mais un détail change dans l’histoire. En effet, Gurney obtient enfin sa vengeance sur Rabban (le neveu du Baron qui régit sur Arrakis). Dans leur passé, Rabban et Gurney se sont déjà rencontrés et battus. Gurney est assoiffé de vengeance, et dans le roman, sa frustration grandit lorsque Paul lui demande de ne pas le tuer. Dans le film, Gurney élimine Rabban lors de la prise d’Arrakeen Le choix des Grandes Maisons En soit, la fin de Dune de Denis Villeneuve suit la trame de l’œuvre originale. Paul gagne, prend le pouvoir et commence sa guerre sainte. Cependant, on l’a vu, les détails sont bien différents. La toute fin du film va prendre une direction différente du roman. Là où dans le livre, les Grandes Maisons ne rouspètent pas à la prise du pouvoir par Paul, dans le film, elles contestent son ascension. Après le succès mondial de Dune 2 avec plus de 500 millions de dollars de recettes, Denis Villeneuve va désormais adapter Le Messie de Dune. Le deuxième roman de Frank Herbert clôture l’arc de Paul dans le cycle de Dune. Déjà confirmé par le studio Legendary Pictures, il faudra cependant patienter jusqu’à au moins 2027 pour voir la suite.