Alors que la question du rapport au travail évolue en permanence, certains décident de prolonger leurs vacances en télétravaillant, une pratique que l’on appelle les « tracances » ou « workation ». La pandémie de Covid 19 a complètement réinventé la face du travail en généralisant le télétravail. Si de nos jours, des entreprises telles que Google font tout leur possible pour ramener leurs employés dans les bureaux, ce n’est pas un mouvement qui se reflète dans toute la société. Ainsi, nombreux sont les travailleurs qui continuent à déserter les bureaux. Et parmi ceux-ci, une nouvelle tendance émerge : les tracances. Un mot-valise construit à partir des mots « travail » et « vacances » et qui, comme son nom l’indique, désigne le fait de télétravailler en vacances. Ou plus généralement, une redéfinition du télétravail dans un cadre inhabituel et comme un moment de détente. Une tendance qui ne peut certes pas se conjuguer pour tous les emplois, mais qui concerne des travailleurs au profil très variés. Ainsi, selon une étude qui avait été relayée par de nombreux médias canadiens, dont La Presse, entre 27 et 32 pour cent des jeunes travailleurs du pays à la feuille d’érable pratiqueraient les tracances. Et si aucune étude n’a encore été effectuée sur le concept en Europe, il est clair que la pratique séduit aussi de notre côté de l’Atlantique. Nous avons d’ailleurs contacté trois travailleurs qui sont des adeptes du télétravail, et parfois des tracances. Jonathan, Quentin et Julie nous livrent leur vision d’une pratique qui s’impose de plus en plus dans le monde du travail, avec des points de vue parfois bien contradictoires. Une pratique parfois coûteuse « Perso, je pratique bien le concept, même si je ne connaissais pas le mot », nous dit Jonathan. « C’est d’ailleurs en partie pourquoi j’ai choisi de faire un travail qui me permet d’être souvent hors du bureau. Après, c’est vrai que ça a un prix, et je ne peux pas beaucoup le faire pour le moment. » Il est vrai que la pratique est généralement adaptée à des personnes qui ont suffisamment de moyens. Tout le monde n’a pas en effet les moyens pour louer un lieu de vacances pour une durée supplémentaire. Comme le rappelle ainsi RTL France, cette pratique concerne en bonne partie les jeunes cadres aux salaires plutôt élevés. Une confusion entre travail et vacances Mais ce n’est pas là la seule critique adressée aux tracances. En effet, si le concept se veut normalement être un moyen de prolonger les vacances, le travail peut vite se prolonger durant les véritables jours de congés. Ainsi, Julie craint par exemple une perte de la frontière entre vacances et travail : « Voilà un exemple d’une dérive du télétravail qui dessert les travailleurs : parce que là, du coup, les gens bossent tout en n’étant pas payés, quoi… Et après, imagine que ça devienne la norme ? On te reprocherait : “tu n’as pas regardé tes mails pendant les vacances, pourtant tu as un poste de télétravail”, et peu à peu ça devient normal de travailler en étant en congé. » Une crainte que Jonathan ne nie quant à lui pas non plus : « C’est vrai que parfois, il y a un effet de confusion. Mais je ne pense que pas que ce soit juste durant les vacances. Après tout, je trouve qu’on travaille de plus en plus le week-end aussi. Personnellement, j’essaie de bien compartimenter, mais c’est pas toujours évident… » Il est vrai que la question se pose alors que la problématique de la déconnexion en dehors des heures de bureau se fait de plus en plus présente. Le droit à la déconnexion a même été inscrit dans la loi belge et est théoriquement en vigueur depuis le 1er avril de cette année. L’influence sur la productivité Alors que les entreprises s’inquiètent de l’effet sur la productivité du télétravail, nos témoins sont plutôt partagés sur la question. Quentin, lui, avoue être beaucoup moins productif : « Je suis moins efficace sur le traitement des données en temps et en heure. Je peux toujours le faire mais plus tard. À cause du rythme du télétravail, et du fait que l’on peut toujours faire autre chose à côté, une certaine forme de procrastination se met en place. C’est probablement simplement mon cas, mais je pense que c’est le cas de beaucoup, pour avoir parlé à mes collègues par exemple. » Jonathan, au contraire, pense être plus productif en vacances : « Surtout si ma connexion internet est limitée, paradoxalement. Alors là, je n’ai plus la possibilité d’être distrait. Une bonne partie de mon travail se fait hors-ligne de toute façon. Donc je fais mon travail plus vite, et j’ai plus de temps pour moi. Même au bureau, je suis moins productif. » Julie semble partager ce constat en ce qui concerne le télétravail en général : « Sur le plan de “est ce qu’on travaille mieux ou moins en télétravail ?”, je pense qu’en fait, on travaille différemment. De façon plus libre et moins formatée. Pour moi, ça veut dire mieux travailler, et de façon plus détendue donc plus efficace, et aussi plus ouverte à de nouvelles méthodes. » À noter qu’aucun véritable consensus n’existe sur la question. Et les études qui se sont penchées sur la productivité en télétravail donnent à voir des résultats contrastés. Une évaluation réelle d’un quelconque effet est difficile à réaliser pour des raisons de biais dans les données. Motivation et ras-le-bol Quant aux motivations qui poussent à pratiquer le concept, elles sont très variées. « J’aime beaucoup mon job, mais j’aime aussi voyager. Et j’aime voyager plus que mon job. » nous confie Jonathan. Quentin, lui, confie plus avoir du mal avec son travail : « Je fais ça en fait parce que je n’ai pas d’intérêt par rapport à l’entreprise dans laquelle je suis. Je n’ai pas d’attache particulière et je ne suis pas investi dans cette entreprise. Par ailleurs, en plus de tout ça, mon travail ne me passionne pas tant que ça. Je ne me sens pas investi d’une mission ou avoir un certain degré de responsabilité ni d’investissement personnel. Mes supérieurs ne m’ont jamais donné d’opportunité et je sais que je n’en aurai probablement jamais. Et c’est justement par dépit que je ne me donne pas les moyens. Que toutes ces périodes de télétravail sont pour moi plus “une pause” plutôt qu’une autre manière de faire mon travail. » Autant de façon de vivre les tracances et le télétravail pour ces jeunes travailleurs. Et le concept, né durant le covid alors que les hôtels et gîtes voulaient trouver un moyen de maintenir leur business, ne semble pas prés de s’essouffler.