Près de 20 ans après la sortie du premier épisode de la saga audio « Le Donjon de Naheulbeuk », l’univers imaginé par John Lang sort pour la première fois sous la forme d’un jeu vidéo. Une adaptation très attendue par les fans de cet univers si particulier. Avant d’entamer la critique du Donjon de Naheulbeuk : l’Amulette du Désordre, il est important de placer le contexte. Au début des années 2000, une série audio contant les aventures d’une bande de joyeux lurons se fait connaitre sur Internet et devient particulièrement populaire au fil des épisodes. Une popularité que la saga MP3 va connaitre durant de nombreuses années. Le Donjon de Naheulbeuk est encore aujourd’hui considéré par beaucoup comme le pionnier des audio-feuilletons sur l’Internet francophone. À l’image de Kaamelott, la série audio a offert de très nombreuses répliques cultes que certains valeureux fans utilisent encore aujourd’hui (“Je m’en tamponne l’oreille avec une babouche“). Mais au-delà des épisodes audios, les faits d’armes de la compagnie d’aventuriers à la ramasse ont été adaptés en bandes dessinées, en romans et en jeu de société. Plusieurs albums musicaux ont également vu le jour et une série animée est toujours dans les cartons, malgré les difficultés. Le Donjon de Naheulbeuk est donc – pour certains – un monument de la culture populaire. Son adaptation en jeu vidéoludique est en soi un petit événement pour les fans de la série. Le Donjon de Naheulbeuk : l’Amulette du Désordre nous conte les aventures d’une bande de bras cassés ; la magicienne, le ranger, l’ogre, le nain, l’elfe et le barbare. Le titre développé par le studio français Artefact se veut fidèle à l’œuvre originale, une bonne chose pour les fans de la première heure. Et pourtant dès les premiers instants, un étrange sentiment se fait ressentir. Nul doute que le jeu est axé fan-service, mais celui-ci prend tout de même ses distances avec l’œuvre originale – ou plutôt, ne remplit pas parfaitement son rôle. Le Donjon de Naheulbeuk : l’Amulette du Désordre développe ainsi son propre scénario, bien qu’il soit largement inspiré de l’original. Tout au long du jeu, l’Amulette du Désordre semble en effet flotter quelque part entre une adaptation fidèle du matériau de base et une aventure inédite. C’est peut-être pour cela que le créateur de la série, John Lang, n’a pas cru bon de reprendre les voix originales de la saga MP3, car oui, en dehors du nain et du barbare, les personnages n’ont plus la même voix. Un point qui pourrait décevoir les fans. Les dialogues ont également été changés pour s’adapter au scénario. Fort heureusement, on retrouve tout de même de nombreux échanges fidèles à la saga audio, mais on y reviendra. Le design des personnages a également évolué. Il ne s’agit pas là non plus d’une copie des bandes dessinées du Donjon de Naheulbeuk – à raison ou à tort, cela reste à l’appréciation de chacun. Dans notre cas, nous avons été quelque peu déçus à ce niveau, même si esthétiquement le jeu se défend très bien. Pour conclure sur le côté fan-service du jeu, on regrette quelques choix artistiques qui ne permettent pas d’avoir une adaptation fidèle de l’œuvre originale qui a tant marqué les fans, mais passons outre et revenons sur l’objet vidéoludique en tant que tel. Les aventuriers se rendent dans le Donjon de Naheulbeuk pour réaliser une mission. Largement inspiré des jeux de rôle sur plateau, Le Donjon de Naheulbeuk : l’Amulette du Désordre prend la forme d’un RPG tactique dans lequel le joueur contrôle une bande de bras cassés ; le ranger, l’elfe, la magicienne, l’ogre, le nain, le barbare et le voleur. Ces derniers se lancent à corps perdu – et sans savoir vraiment où ils mettent les pieds – dans le Donjon de Naheulbeuk pour accomplir une mission : récupérer l’une des douze statuettes de Gladeulfeurha. Jusqu’ici, le scénario est identique à la saga audio, mais un événement inattendu – une amulette venue de nulle part – va venir chambouler les plans de la sympathique bande. Une construction scénaristique plutôt classique, mais inédite par rapport à la série audio – bien qu’elle lui emprunte plusieurs éléments d’histoire. Cet événement « inattendu » sert évidemment de leitmotiv à l’aventure qui est désormais double ; la bande doit retrouver la statuette de Gladeulfeurha et découvrir quel sort anime l’étrange amulette. Après avoir digéré qu’il ne s’agissait pas d’une adaptation fidèle de la série audio, les fans apprécieront tout de même de retrouver le même ADN. On retrouve ainsi les mêmes personnages avec deux pieds gauches, leur naïveté et surtout leurs relations catastrophiques. Un tableau insolite dans un cadre tout aussi décalé qui devrait séduire les non-initiés. Le ton est simplet, décalé et il vaut mieux prendre le tout avec légèreté au risque de passer à côté de la richesse parodique de cet univers. Malheureusement, en comparaison à la justesse humoristique de la série audio, on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de déception en jouant au Donjon de Naheulbeuk : l’Amulette du Désordre. Si on retrouve certaines des meilleures blagues de la saga MP3, elles arrivent parfois au mauvais moment, alors que les tentatives de blagues inédites sont loin d’être à la hauteur des originales. Certes, on retrouve dans le jeu de nombreuses similitudes avec l’audiobook (le cadre, l’humour, le côté parodique), mais cela reste très clairement un cran en-dessous. Au-delà de l’ambiance et du cadre, on reste malgré tout devant quelque chose de très classique. L’histoire est en réalité assez simple, voire quelconque et c’est bien dommage quand on sait d’où elle tient ses racines. RPG tactique au tour par tour, le jeu maitrise parfaitement les codes et mécanismes sans pour autant innover. On pourrait adresser la même critique – le manque d’originalité – au gameplay du jeu. Le côté RPG tactique de Le Donjon de Naheulbeuk : l’Amulette du Désordre colle moyennement avec le fun qui se dégage de son univers. Le joueur devra ainsi contrôler ses personnages en fonction de leurs spécialités et devra prendre en compte cet aspect pour mener à bien ses combats, au tour par tour. Pour y arriver, il pourra personnaliser son ranger, son elfe ou son nain en leur affublant de l’équipement qui aura des effets positifs et négatifs sur leurs statistiques. À chaque niveau, le joueur pourra améliorer les caractéristiques de ses héros (intelligence, force, etc.) et pourra également débloquer de nouvelles attaques à travers un arbre de compétences propres à chacun d’eux. Ces améliorations seront bien utiles lors des combats qui exigeront en réalité une bonne dose de stratégie, car même en mode normal, les ennemis se montreront plutôt coriaces, et ce, même au début du jeu. On a d’ailleurs été étonné à ce niveau, car si le jeu prend (trop) soin à nous présenter ses mécanismes de jeu, il nous lance directement dans le grand bain avec des ennemis costauds et nombreux. Pas le temps de s’y faire pour les petits nouveaux qui en sont à leur premier tactical. Malheureusement, une fois qu’on a compris le truc, on n’est plus vraiment surpris par les adversaires qui se révèlent assez peu inspirés dans leur stratégie. Pour le reste, on retrouve des mécanismes encore une fois très classiques, mais intégrés avec soin. Ainsi, avant de lancer la baston, le joueur peut positionner ses aventuriers, ceux allant plutôt au corps-à-corps à l’avant-garde et les adeptes des attaques à distance à l’arrière. Chacun dispose de deux points d’action. Ils peuvent se déplacer suivant des cases et réaliser une action durant leur tour. Le hasard tient une place importante dans le jeu puisque, à la manière des jeux de rôle plateau, une action peut échouée. Il y a également des attaques d’opportunité qui se réalisent automatiquement en fonction des situations et qui ont là aussi plus ou moins de chance d’atteindre leur cible. Pour forcer le destin, le joueur pourra compter sur les bonus de ses héros qui se veulent complémentaires. En mettant deux aventuriers côte à côte, ils bénéficieront d’une meilleure visée, par exemple. Le tout fonctionne plutôt bien et les adeptes des RPG tactiques assimileront très rapidement les mécaniques du Donjon de Naheulbeuk : l’Amulette du Désordre puisque c’est du déjà vu. Mais le jeu développé par les Lyonnais d’Artefact Studios présente d’autres défauts. Si les combats dans les jeux tactiques prennent du temps, ici, ils tirent en longueur et pas pour de bonnes raisons. Les animations sont en effet parfois très lentes et ils arrivent que certaines prennent du temps à se lancer, comme si les personnages s’étaient endormis ou qu’ils avaient oublié ce qu’ils devaient faire. C’est évidemment frustrant, d’autant plus que la richesse et la sympathie du titre ne sont pas là pour supporter ces phases plus vides. Passée la découverte des mécanismes du jeu, ce dernier se montre en réalité assez peu divertissant et on tourne rapidement en rond à travers des combats qui n’évoluent pas vraiment. Plus globalement, on peut également critiquer le côté dirigiste du jeu. Le titre prend en effet quelque peu la forme d’un jeu d’aventure où l’exploration est primordiale, mais dans les faits, le champ des possibles est limité. On ne peut pas vraiment s’aventurer dans le donjon pour dénicher des pièces ou des objets intéressants, les portes ne s’ouvrent que dans le cadre de la mission principale ou des quêtes secondaires. On aurait préféré pouvoir découvrir l’univers du Donjon de Naheulbeuk avec plus de liberté, mais aussi pouvoir récupérer des coffres ici et là. On retrouve plusieurs clins d’oeil à la saga MP3 dans le nom des attaques. Bien que le jeu s’éloigne visuellement du design des bandes dessinées éponymes, la direction artistique colle parfaitement à l’univers. Le cadre du jeu, cartoonesque et coloré, est assez joli, de même que les décors. Si les couloirs se ressemblent assez fort, on note ici et là des détails sympathiques. Comme nous l’avons déjà évoqué, il y a du changement dans les voix des personnages du Donjon de Naheulbeuk. Si le créateur de la série, John Lang, fait encore partie du casting, la voix des principaux aventuriers a changé. Le côté absurde et truqué des voix est conservé, de sorte que les nouveaux adeptes pourraient se laisser charmer, mais pour les fans de la série, cela peut avoir du mal à passer. Difficile d’oublier les voix si emblématiques des personnages. Les développeurs ont sans doute tenté de faire passer la pilule en s’offrant un casting de doubleurs de premier choix. On retrouve ainsi les Youtubeurs Benzaie et Bob Lennon, mais aussi, et surtout deux acteurs de la série Kaamelott : Franck Pitiot (Perceval) et Jacques Chambon (Merlin). Malheureusement, certaines voix truquées manquent de charme et agacent parfois. À certains moments, on a également l’impression que certains doubleurs regrettent d’être là tant leur interprétation est terne. Pour revenir sur la force du Donjon de Naheulbeuk, l’humour, on ne peut s’empêcher de se dire que certaines blagues adaptées ou changées par rapport à la série originale ne fonctionnent tout simple pas ou plus. On a parfois l’impression qu’elles manquent d’authenticité, qu’elles sont forcées ce qui est bien dommage. Pour ce qui est de l’ambiance musicale, le studio lyonnais a opté – avec sagesse – pour reprendre les musiques et mélodies cultes de la série, dont celles des différents albums du groupe Naheulband. Conclusion Près d’une vingtaine d’années après la sortie du premier épisode audio du Donjon de Naheulbeuk, cette sympathique parodie des jeux de rôles s’offre enfin son adaptation vidéoludique. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les développeurs sont (presque) parvenus à retranscrire l’univers loufoque et si particulier de ce monument de la culture populaire de l’Internet francophone. On retrouve l’humour lourdingue qui caractérise la série. Malheureusement, beaucoup de vannes tombent à l’eau et le résultat reste un cran en-dessous de l’audiobook. Pour ce qui est du gameplay, on se retrouve face à un RPG tactique bien pensé, mais qui manque clairement de personnalité. La formule fonctionne, mais on n’est jamais bluffé par la direction prise par le studio. Les fans en auront pour leur argent. Pour les autres, il y a très clairement de meilleurs tacticals à découvrir…