Internet rend-il bête ? La question-titre de ce fascinant essai est volontairement provocatrice. Et y répondre n’est pas réellement l’objectif de son auteur, qui sait que toute tentative serait forcément réductrice… et donc sans intérêt. Non, ce qui intéresse Nicholas Carr (New York Times, Wired…), c’est une réflexion beaucoup plus large (elle englobe toute l’histoire du fonctionnement de la pensée) sur les effets du web sur notre société. Remontant jusqu’à la préhistoire, il analyse comment l’invention de différents outils (l’horloge, la carte, l’imprimerie…) a modifié, et parfois même révolutionné notre façon de penser, communiquer, être. Un exemple : le fait d’insérer des blancs entre les mots a libéré les idées ; n’ayant plus besoin de scribe, les auteurs se firent plus personnels, plus audacieux. En parallèle, Nicholas Carr décrit le fonctionnement du cerveau, et différentes expériences qui démontrent que ses capacités évoluent en fonction de nos pratiques intellectuelles. Pour, finalement, croiser ces deux évolutions et montrer comment, selon lui, si même l’internet ne nous rend pas bête, il risque de modifier sensiblement notre façon de penser… et donc de communiquer, être. La pensée en réseau C’est parce qu’il éprouvait des difficultés à se concentrer sur une seule tâche à la fois que l’auteur a écrit ce livre. Il voulait comprendre comment, et pourquoi, il en était arrivé là. Consciencieux, il a résilié son compte Twitter et suspendu son compte Facebook le temps de la rédaction de l’ouvrage. Et ses recherches ont confirmé ce que son instinct lui dictait : à force de penser en réseau, notre capacité de « penser linéaire » s’estompe. Attirés par la stimulation frénétique du web, nous pourrions bien laisser dans son flux certaines capacités de mémorisation, de réflexion, d’analyse en profondeur… Petite précision : Carr n’est pas un vieux réac, et il reconnaît des dizaines d’avantages au web. Simplement, il s’inquiète de ce que ce nouveau média modifie au plus profond de nous, soulignant les idées, les personnalités que la pensée linéaire a fait éclore. Avouons que nous nous sommes souvent reconnus (la tête dans un livre, le tchat allumé et le téléphone jamais coupé) dans cet essai ultra documenté. Saluons également le brillant et dense panorama que tisse Nicholas Carr. Détrompons-le simplement sur un point : tout geek que nous sommes, nous parvenons encore à lire un livre de la première à la dernière page, sans nous laisser distraire. Surtout quand il est aussi passionnant que le sien. Adrienne Nizet