Sept francophones sur dix disposent d’un profil Facebook. Professeurs et élèves s’y croisent donc forcément. Mais un enseignant peut-il être « ami » avec ses élèves ? Que peut-on y gagner ? Quelles limites fixer ? En quelques années, Facebook est devenu un véritable phénomène de société. Source d’informations pour certains, outil pédagogique pour d’autres ou, encore, nouvelle façon de communiquer, Facebook ne laisse personne indifférent et surtout pas l’école. Un professeur peut-il être ami avec ses élèves? Quelle frontière peut-il encore exister entre enseignants et étudiants à partir du moment où tous se retrouvent sur le même réseau social ? Ces questions, l’école n’était pas prête à y répondre et elle s’en serait bien passée. Aux Etats-Unis, le débat au sein des établissements n’a pas duré bien longtemps. En Virginie, de nombreux établissements scolaires ont interdit à leurs enseignants de disposer d’un profil. En août dernier, l’Etat du Missouri a carrément légiféré. Le projet de loi nº 54 du Sénat prévoyait de proscrire toute action de réseautage social entre étudiant et professeur. Les contacts directs devaient être interdits. Seuls les pages personnelles, les blogs et autres sites de classes restaient permis. Seulement, cette loi n’est jamais entrée en vigueur car elle fut jugée contraire à la Constitution américaine. Elle va à l’encontre du principe de liberté individuelle et d’expression. En Belgique, légiférer sur cette question ne semble pas à l’ordre du jour. Les quelques écoles qui avaient inscrit cette interdiction dans leur règlement d’ordre intérieur ont vu se lever une armée de boucliers. Tous les enseignants ont également utilisé l’argument de la liberté d’expression pour faire supprimer ce point. Les professeurs doivent donc décider seuls s’ils acceptent ou non leurs élèves en tant qu’«amis». Et le débat fait rage dans la salle des profs surtout qu’un récent sondage annonce que 7 francophones belges sur 10 disposent d’un profil Facebook. Pour certains, être sur Facebook leur permet de vérifier ce que les jeunes disent d’eux. Le fait de savoir que son prof peut lire ce qu’on pense de lui, induit une autocensure chez le jeune. De plus, Facebook peut devenir un outil pédagogique. Les contacts intergénérationnels permettraient aux élèves d’ouvrir leur esprit à d’autres centres d’intérêt, d’autres styles de musique ou d’autres courants de pensées. Les jeunes seraient même plus motivés à suivre les cours de ces professeurs «amis». Pour d’autres, il faut absolument maintenir une distance. Le professeur ne peut donc être l’ami d’un élève même virtuellement. Comme un numéro de GSM ne serait pas donné à un étudiant. L’élève n’a pas à savoir à quelle soirée a été son maître et inversement. En tout état de cause, une mauvaise gestion de son profil Facebook par manque de connaissance de l’outil peut se révéler catastrophique. Une fin de soirée arrosée ou un hobby original peut donner du grain à moudre aux adolescents. Devenir une tête de turc dans l’enceinte de l’école est une chose. L’être 24 h/24 sur la Toile accessible aux yeux du monde entier en est une autre. On ne compte plus les groupes créés par des élèves mécontents d’un professeur. Sur certaines pages, le nom des enseignants incriminés apparaît à maintes reprises. Etre la cible d’un lynchage organisé peut enfoncer une personnalité fragile. Il faut donc que les jeunes distinguent vie privée et publique, qu’ils soient amis avec leurs profs ou pas. Vanessa Lhuillier L’avis de l’expert : Christophe Butstraen Christophe Butstraen est médiateur de la Communauté française en Brabant wallon. Lors de ses conférences, il rencontre beaucoup de professeurs qui se posent de nombreuses sur leur gestion de Facebook. Selon vous, un professeur doit-il accepter des élèves comme amis sur Facebook ? Je ne me pose pas en donneur de leçon. Chacun fait ce qu’il veut mais il faut savoir que tout est public. Cette , ce sont surtout les jeunes professeurs qui me la posent. Ils sont nés avec internet et le manipulent aussi bien que leurs élèves. Du coup, ils doivent faire attention à ce qu’ils font. Vous ne mettriez pas une photo de vous en bikini sur la vitre de votre voiture. Alors ne le faites pas sur Facebook. Est-ce une question de déontologie ? Évidemment. Ce n’est pas pour rien que la salle des profs est interdite aux élèves. Personne ne peut empêcher quelqu’un d’être sur Facebook. Professeurs et élèves s’y croisent forcément mais certains faits relèvent de la vie privée. Ne mettez donc rien qui puisse nuire à votre réputation. Cela peut déraper très vite et le professeur le paie cash. Certains élèves n’hésitent pas à lyncher leur enseignant sur la Toile et cela crée beaucoup d’émotions. Quel conseil donneriez-vous à un professeur qui accepte un élève comme ami? Tout d’abord, si vous en acceptez un, vous les acceptez tous. Il ne faut pas créer de discriminations sinon cela peut se rapprocher d’une forme de favoritisme. Il faut également réfléchir au pourquoi. Facebook est-il un outil pédagogique ? Est-ce pour publier les photos d’un voyage scolaire ? Mais de manière générale, il ne faut pas oublier que c’est un outil privé. Faut-il interdire Facebook aux enseignants ? Je crois qu’il ne faut pas légiférer sur tout. Il faut surtout faire appel au bon sens des gens. L’avis de deux enseignants Xavier Guyaux : « J’accepte tous mes élèves » Xavier Guyaux enseigne l’économie à des élèves de 4e, 5e, 6e secondaire dans deux athénées bruxellois. Cela fait 10 ans qu’il est prof et, depuis 5 ans, il utilise Facebook : « Je me suis inscrit car j’entendais beaucoup de choses négatives sur Facebook. Je me suis créé un profil avec un pseudo et j’ai demandé à 200 élèves d’être mes amis. Près de 120 ont répondu positivement alors qu’ils ne savaient pas qui j’étais. Du coup, cela m’a permis d’en parler en classe, de leur xpliquer comment il fallait utiliser Facebook. » Depuis, Xavier Guyaux s’est créé un vrai profil sur lequel il ne met aucune information personnelle. Il publie des articles, réagit à l’actualité. Et il accepte tous ses élèves. « C’est l’un de mes principes. Je ne veux pas qu’un élève se sente discriminé. En 5 ans, je n’ai connu qu’un petit problème. Ils savent toujours que je suis leur professeur. Ils écrivent sur mon mur sans abréviation en essayant de ne pas faire de faute. Ils me posent des s sur les devoirs et je leur réponds le plus rapidement possible. Je me connecte donc tous les jours. » Xavier Guyaux utilise finalement Facebook comme un outil pédagogique. « Quand je publie un article, les élèves le lisent alors que quand je le distribue en classe, il finit à la poubelle ! » Il apprend aussi à ses élèves à utiliser correctement leur profil afin qu’ils ne mettent pas en ligne des informations qui doivent rester privées. Et si un jour on lui interdisait d’être ami avec ses jeunes, il trouverait cela « idiot car avant, les profs croisaient leurs élèves dans leur village et ne changeaient pas de trottoirs pour autant ». Christelle : « Je préfère ne pas être sur Facebook » Christelle enseigne le néerlandais à l’université. Contrairement à nombre de ses collègues, elle ne possède pas de profil Facebook. Un choix mûrement réfléchi. « J’ai toujours besoin d’attendre quand un nouvel outil arrive afin de voir la portée qu’il peut avoir. Je n’allais donc pas me précipiter sur Facebook. Ensuite, quand mes amies s’y sont mises, je me suis aperçue que cela prenait beaucoup de temps. Enfin, je me posais beaucoup de questions concernant le respect de ma vie privée. Je ne vois pas quel intérêt il y a à mettre si je suis mariée ou non et quelle est ma couleur préférée. » Christelle préfère donc contrôler son image. « Cela ne va rien apporter à mes étudiants de savoir où j’ai été en vacances. Et s’ils ont simplement accès à un profil restreint, cela n’apporte pas de plus-value. Ils ont mon mail s’ils ont une question. Ceux que j’apprécie vraiment, je leur donne mon numéro de GSM mais seulement une fois qu’ils ont terminé leurs études. Je ne veux pas qu’on m’accuse d’avoir favorisé l’un ou l’autre. Et surtout, je souhaite garder une frontière entre eux et moi. Facebook est juste de l’amusement. Pour développer une pédagogie active, je préfère d’autres outils. » Avec ses collègues de l’université, ils ont développé plusieurs plateformes informatiques permettant de mettre en ligne des cours, des exercices, des idées de sorties en néerlandais, des dictionnaires. « Tous ensemble, nous avons mis en place de meilleurs outils que si je le faisais seule dans mon coin. Le seul réseau sur lequel j’hésite à m’inscrire est LinkedIn car ce sont uniquement des contacts professionnels.»